The Time Passer

Le passeur des jours

Série

Scénario :
Dans un espace lunaire à mi-chemin de la terre et du ciel, dans un temps diffracté où les instants s’étirent et scintillent, les échelles vibrent et palpitent comme des papillons affolés par la lumière, toutes ailes déployées, et sur le point déjà de disparaître dans l’éphémère.

Arpentant chemins et précipices d’un territoire infini, quelques silhouettes aux traits gommés par le soleil passent à travers le silence. Elles ouvrent des chemins dans le grand vide et les broussailles opaques de la nature, tracent des lignes de fuite où le regard s’agrippe et se lance.

Dans le ciel noyé d’un océan de bleu, à travers les montagnes englouties derrière leur sombres forêts, par-delà les rivages de sable brûlés par le soleil, ces hommes-échelles partent à l’assaut de blocs massifs et inaccessibles. Pour affronter ces grands monstres sacrés, ils font ténus et fragiles comme des lignes. Leurs corps défigurés ne sont plus qu’ombres denses, des spectres tout droit venus d’un autre monde.

Plus impalpables et sombres qu’un ciel de nuit, ils sont toujours diaphanes et translucides, toujours prêts à laisser délicatement et généreusement filtrer la lumière pour ouvrir le visible. Floutés et disproportionnés, délestés des détails encombrants et de leurs vaines hésitations, ils conquièrent la puissance des abstractions et gagnent les hauteurs des cieux. Ils mangent les montagnes et se penchent pour regarder par-dessus bord, creusent des chemins en hauteur qui leur donnent des ailes.

L’échelle n’est plus un outil ou un accessoire : les hommes-échelles font corps avec elle. Ils l’ont incorporée pour mieux en absorber la puissance, pour mieux la restituer et la transmettre. La nature n’est pas ici un paysage, pas plus que les hommes ne sont des personnages, et pourtant ces images abstraites s’articulent autour d’une silhouette humaine. L’humain est l’axe central qui relient ces images et les structurent. Il leur offre sa colonne vertébrale, et l’échelle lui offre la sienne.

D’ordinaire les barreaux emprisonnent ou protègent, emprisonnent les uns pour protéger les autres, et certains font même croire qu’ils emprisonnent les hommes pour mieux les protéger d’eux-mêmes et du dehors. Ils empêchent pour poser les conditions d’une liberté raisonnable, calfeutrée derrière la prudence, les interdits, et le sentiment d’impossible. D’ordinaire les barreaux criblent les fenêtres d’une mitraille de plomb, grillagent le ciel et dressent des murs épaissis d’obstacles en tout genre. Les échelles seules font des barreaux de précieuses marches vers l’inaccessible, et ce qu’ils soient solides ou frêles.

Elles inventent des voies d’accès improbables vers l’horizon, trouvent des points d’équilibre et donnent des ailes à ceux qui n’en ont pas. Ce sont ces passages inouïs qui tremblent à tire-d’aile dans les images oniriques, ces visions-fictions qui font fi des ordres et du poids des choses. Elles déplient leurs reflets dans les interstices d’un espace où les temps de pause allongés ont creusé des sillons. Les instants imprenables qui composent le mouvement laissent enfin une trace de leur passage, comme autant de barreaux auxquels le regard peut s’accrocher pour gagner du courage.

julia peker

2010

2010